Cette question m'a souvent été adressée lorsque je fais des démonstrations publiques de taille du silex. Qu'en est-il en réalité et que sait-on?
Techniquement ou physiquement rien n'empêche une femme de tailler du silex. Il s'agit d'enregistrer une série de gestes, d'exécuter une série d'opérations pour atteindre le but fixé, comprendre ce que l'on peut tirer d'un rognon, d'un bloc de silex, savoir le maintenir, l'entretenir mais avant tout le choisir.
Tailler le silex n'est pas plus difficile que de chasser un renne ou conduire une voiture ou encore abattre un arbre, c'est une question d'apprentissage, puis d'exécuter les bons gestes au moment opportun. Pourquoi les femmes n'y arriveraient-elles pas?
D'après nos connaissances archéologiques actuelles, on ne sait toujours pas qui taillaient le silex, uniquement les hommes, uniquement les femmes, ou les deux? Est-ce que certaines opérations n'étaient faites que par des hommes et d'autres par des femmes? Alain Testart pensait, sur la base de nombreuses observations ethnographiques, que ce qui est lié, associé au sang est une activité masculine, de ce fait les instruments de chasse étaient produits par des hommes. Les autres instruments par contre pouvaient très bien avoir été produits par des femmes.
Si l'on ne sait pas qui taillaient les silex, on peut cependant observer l'activité d'enfants, de débutants, d'apprentis ou des personnes plus habiles que d'autres. Par exemple, un nucléus (bloc de silex taillé) à l'écart d'autres lieux d'activités et portant de nombreuses marques d'impacts, constitue un indice d'autant plus s'il est associé à des éclats dont aucun n'a été transformé en outil. On interprète cette situation comme résultant du travail d'un enfant, d'un tailleur débutant. L'enfant imite les gestes qu'il voit, il tape donc sur le bloc de silex, parfois un éclat se détache, parfois rien ne se passe, il s'acharne, il tape et il tape encore, jusqu'à ce qu'il parvienne à détacher un éclat. C'est cette succession de gestes qui font qu'un nucléus peut porter de multiples traces d'impacts.
Si l'on observe des gestes maladroits, des accidents de taille répétés, mais aussi une ébauche d'entretien et de réparation des accidents, on attribuera cela au travail d'un apprenti, car certaines notions sont intégrées (comme la réparation d'erreur) et d'autres pas encore (d'où la répétition des erreurs).
Si l'on revient au travail des femmes, il faut savoir qu'aujourd'hui encore les femmes Tchoutchkes taillent des pierres pour obtenir les grattoirs qu'elles serviront pour le travail des peaux (voir le film Dans la peau de mon renne de Sylvie Beyries, Claudine Karlin et Youry Tchesnokov). Ces femmes possèdent un grand bloc de pierre duquel elles tireront au besoin un ou plusieurs éclats qu'elles vont aménager en grattoir. Un angle, un tranchant aigu le rendent efficace. De temps à autres elles réaffûtent le grattoir, c'est à dire quelles détachent de petits éclats sur son tranchant pour le rendre à nouveau fonctionnel. Un seul grattoir peut ainsi servir à gratter des dizaines de peaux!
Cet exemple peut nous suggérer que les préhistoriques qui avaient une tâche spécifique à accomplir taillaient les outils dont ils avaient besoin. On pose l'hypothèse que des femmes taillaient les grattoirs et les couteaux qui leur servaient au travail des peaux et les hommes taillaient les instruments qui étaient lié à la chasse; dans ce cas un nucléus qui a fournit des grattoirs (pour le travail des peaux) et des burins (instrument qui servait entre autre à rainurer les bois de renne pour en extraire les pointes des sagaies utilisées à la chasse) a-t-il été taillé par un homme ou par une femme ou par l'un et l'autre successivement?
Finalement on ne sait toujours pas qui (homme ou femme) a fait quoi. Peut-être qu'un jour on pourra retrouver l'ADN d'un/e tailleur/se de silex sur un éclat, mais je rêve sans doute :-)
Finalement à quoi cela sert-il de savoir qui taillait le silex ou n'est-il pas plus important de savoir pourquoi et comment? Bon la deuxième conjecture permet au moins d'avoir des réponses, l'histoire de l'importance par contre n'a pas lieu d'être, il y a des questions auxquelles on peut répondre et d'autres pas encore, et elles n'ont pas à être hiérarchisées. Et ne pas trouver de réponses, ou ne pas avoir les moyens d'y répondre c'est bien, c'est par des questions venant de partout, allant dans tous les sens que la science avance, c'est aussi avec des hypothèses farfelues parfois, des hypothèses qui ouvrent des portes à de nouvelles recherches que l'on trouve des solutions ou des réponses à des endroits où on ne les attendaient pas.

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