...Et bien oui, il est possible d'identifier la latéralité des humains préhistoriques...mais bien sûr il faut plusieurs critères d'identification surtout lorsque l'on n'a pas de squelette....pourtant j'ai eu la chance d'identifier un probable gaucher en étudiant les silex du site magdalénien de Champréveyres, sur les rives du lac de Neuchâtel en Suisse. Voici l'histoire de ma découverte.
L'illumination m'est arrivée lors du colloque de Bordeaux en 1987 où je présentais mes données. C'était un moment impressionnant, car à ce moment ça n'était que la seconde fois que je présentais mon travail à mes collègues de tous les pays. L'immense salle baignait dans la pénombre, et, seule sur l'estrade face au micro et au public, je racontais la distribution spatiale d'un des nucléus que j'avais remonté (c'est mon travail de remonter les éclats sur les blocs desquels ils ont été tirés et ensuite de raconter leur vie en quelque sorte). Dans le cas présent, j'expliquais la distribution des éclats devant deux blocs sièges où devait se tenir le tailleur (j'utilise le masculin, mais il est bien évident que je ne sais pas si l'auteur du débitage était un homme ou une femme, voir mon article ci-dessous). Ces éclats s'étalaient devant le bloc, mais également à droite du tailleur et vers son arrière droit....et c'est en racontant cela que je me dis : mais d'habitude on maintient le bloc sur sa cuisse gauche si on est droitier, donc les éclats ne peuvent pas se trouver à droite...alors....ouiiiii c'est un gaucher, oui ça ne peut s'expliquer que comme cela cette distribution...je ne crois pas que j'ai partagé ma découverte de l'instant avec mon public, mais mon émotion était immense.
A la fin de la conférence, Jacques Pelegrin et Jacques Tixier sont venus me voir pour parler avec moi, je ne les connaissais que de nom jusqu'à ce moment, ils étaient pourtant déjà mes maîtres à travers mes lectures et là je les voyais en vrai et je parlais avec eux, moments magnifiques. Quelques années plus tard c'est dans leur laboratoire de préhistoire et technologie préhistorique que je me suis perfectionnée dans la lecture technologique des silex, que j'ai encore mieux appris à lire le silex taillé et toutes les roches taillées. C'est à ce moment que j'ai parlé de mon hypothèse de tailleur gaucher à Jacques Tixier, qui m'a dit : " Oui c'est possible, mais explore toutes les possibilités pour prouver ce que tu avances".
C'était parti pour l'exploration et l'expérimentation: j'ai donc demandé à Jacques Pelegrin qui taille le silex magnifiquement d'adopter différentes postures, pour savoir si un tailleur droitier pouvait produire un amas à droite de sa jambe droite...résultat : même en se contortionnant, un tailleur droitier produit toujours un amas principal et un amas secondaire à gauche de l'amas principal, avec une projection des éléments vers l'arrière gauche donc une distribution inverse ne peut être que le fait d'un tailleur gaucher. Donc en avant pour interviewer un tailleur gaucher, c'est Pierre-Jean Texier qui m'a photographié ses amas de débitages expérimentaux et là j'ai pu constater qu'en effet, un tailleur gaucher produit un amas principal et un amas secondaire à la droite du premier et surtout que des éclats étaient projetés vers l'arrière droit.
Question suivante, est-ce que des gauchers ont déjà été indentifiés pour les périodes préhistoriques?...et bien oui, par exemple à la grotte de Gargas dans les Hautes-Pyrénées, on pense que les mains droites négatives ont pu être peintes par des gauchers (il n'y a que 10 mains droites sur 160 mains négatives représentées). On pense en effet que si la peinture est projetée sur la paroi en soufflant le colorant à travers un tube (en os par exemple), on tient ce tube avec sa main dominante et on pose l'autre contre la paroi. Donc, un artiste droitier posera sa main gauche sur la paroi et un artiste gaucher sa main droite.
Un autre exemple: un des Néandertaliens découvert à La Ferrassie (Dordogne) était vraisemblablement gaucher, car des insertions musculaires plus importantes se notaient sur son bras gauche et son encéphale droit était plus développé.
Comme dans la population actuelle, les populations préhistoriques se composaient de gauchers et de droitiers, donc il n'y a pas d'objection majeure à ce que j'identifie un tailleur gaucher.
Si vous voulez en savoir plus sur mon histoire de gaucher et bien elle est publiée dans le no 26 de la série archéologie neuchâteloise.
D'ailleurs si vous regardez bien la couverture de cet ouvrage vous verrez mon clin d'oeil sous les pinceaux de l'artiste Patrick Roeschli.

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